Cryo-esthétique : l’urgence d’une réglementation plus claire.
Le principal atout de la cryo-esthétique est de constituer une alternative douce et efficace à la liposuccion. Sans chirurgie ni anesthésie, cette méthode révolutionnaire de minceur par le froid vise à réduire des amas graisseux localisés en quelques séances : hanches, ventre, pli fessier ou pli du soutien-gorge pour les femmes; poignées d’amour et ventre pour les hommes. Depuis son lancement en 2009, la technique rencontre un immense succès en France, aussi bien dans les cabinets médicaux qu’en instituts et spas. Efficace et indolore, elle séduit un nombre grandissant de personnes désireuses de se débarrasser de bourrelets résistant au sport et aux régimes. Or, comme souvent, le progrès technologique s’est imposé en prenant de court le législateur. La condamnation d’une esthéticienne en janvier 2019 au motif d’une pratique illégale jette le trouble dans toute la profession. Va t-on désormais interdire aux milliers de professionnelles de l’esthétique équipées d’appareils de cryo-esthétique de proposer ces prestations qu’elles pratiquent depuis des années ? L’affaire fait froid dans le dos. Elle tombe alors même qu’une vaste réflexion réglementaire incluant le secteur de l’esthétique est en cours depuis 2017 au niveau des pouvoirs publics. Va t-elle faire jurisprudence ? Pour éviter que des décisions de justice arbitraires viennent sanctionner individuellement telle ou telle esthéticienne, il apparait désormais urgent qu’un décret soit officiellement adopté pour sécuriser les pratiques.
Un marché en plein essor
Dix ans après son lancement, la minceur par le froid est en plein essor, en cabinet médical comme en institut de beauté. Ainsi, selon la CNEP, ce ne sont pas moins de 425 000 séances de cryo-esthétique qui ont été réalisées en 2017 dans les instituts de beauté, spas et centres spécialisés en minceur, où plus de 3500 appareils sont utilisés quotidiennement. Force est donc de constater que la cryolipolyse constitue aujourd’hui une prestation très largement proposée par les professionnelles de l’esthétique.
Une technologie récente
Comme d’autres techniques esthétiques high tech, la cryolipolyse est d’abord apparue dans le secteur médical. Le précurseur sur le marché mondial est la société Zeltiq, qui lance en 2009 son appareil « Cool Sculpting » strictement réservé aux médecins. Quelques années plus tard, la cryo-esthétique s’est démocratisée avec l’arrivée de machines destinées aux instituts et spas. Aujourd’hui, le marché reste segmenté, les appareils destinés aux esthéticiennes étant généralement bridés, moins sophistiqués et surtout, moins onéreux.
Découverte par des chercheurs américains, la cryolipolyse repose sur la sensibilité au froid des cellules graisseuses. Deux techniques cohabitent actuellement pour isoler le pli graisseux : par aspiration (au moyen de ventouses) ou par apposition de plaques. Dans les deux cas, la peau doit être protégée par un dispositif externe (lingette par exemple). Si la température des tissus est abaissée à des niveaux variables selon les appareils, il est primordial que la température en surface de la peau reste positive, de manière à éviter tout risque de nécrose. Comme le rappelle le fabricant Cryocell : « L’efficacité du traitement par cryolipolyse réside dans la combinaison d’une température négative et de la durée d’exposition à cette température permettant de refroidir l’intégralité du bourrelet ». Sur l’appareil commercialisé par Cryocell, « Les temps d’application varient de 45 minutes à une heure pour atteindre les conditions idéales d’exposition au froid nécessaires à l’action de la cryolipolyse ».
Quelle que soit leur origine, les appareils de cryo-esthétique ont l’obligation d’un marquage « CE » pour pouvoir être commercialisés en Europe. Cependant, leur classification peut être différente. Certains ont ainsi le statut de « dispositif médical » tandis que d’autres sont de simples « appareils électriques », le choix revenant librement au distributeur qui déclare l’appareil au moment de sa mise sur le marché.
Une décision de justice en forme de coup de tonnerre
Laval, jeudi 10 janvier 2019 : suite à la plainte d’une cliente, le tribunal correctionnel condamne une esthéticienne pour pratique illégale réservée à la médecine et blessure involontaire. En cause : des prestations de cryo-esthétique ayant causé une brûlure au troisième degré. « Pas de crime sans loi » argumente Maître Benard, avocate de la prévenue, expliquant qu’aucun décret n’existe pour justifier la condamnation de sa cliente. Pourtant, l’esthéticienne est déclarée coupable et condamnée à 3.400 euros d’amende. Une décision très injuste pour la prévenue et son avocate, pour qui la législation n’interdit en rien cette technique de soin minceur aux instituts de beauté. Qu’en est-il réellement ?
Le cadre actuel
Sur le sujet de savoir si l’usage d’appareils de cryo-esthétique est réservé au secteur médical, les esthéticiennes sont renvoyées à l’arrêté du 6 janvier 1962 qui fait entrer dans le monopole de la médecine « Tout acte de physiothérapie aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, et notamment la cryothérapie, l’électrolyse, l’électrocoagulation et la diathermo-coagulation.» Dans l’affaire de Laval, le tribunal s’est arrêté à une interprétation restrictive de la loi de 1962 pour condamner l’esthéticienne pour pratique illégale, refusant d’admettre toute différence entre cryo-thérapie et cryo-esthétique. Une simple querelle de mots ?
La « physiothérapie » se définit comme une méthode de soins (« thérapie ») par des moyens physiques (« physio »), c’est à dire sans médicament. Cette discipline, essentiellement pratiquée par les kinésithérapeutes en France, recourt à divers moyens thérapeutiques tels que la manipulation, la thermothérapie (soin par le chaud), la cryothérapie (soin par le froid), l’électrothérapie, ou encore l’hydrothérapie (traitement par l’eau). Elle s’applique à un vaste champ de troubles : maux de dos, problèmes posturaux, entorses, fractures, troubles neurologiques, arthrites etc. Ainsi, la cryothérapie consiste par exemple à utiliser les propriétés anti-inflammatoires du froid pour soulager les contractures des sportifs et aider à la récupération.
Doit-on considérer qu’un bourrelet est un trouble de la santé et que les prestations de cryo-esthétique pratiquées par les esthéticiennes ont donc un objectif thérapeutique ? Ce n’est évidemment pas la position des esthéticiennes, qui parlent de « cryo-esthétique » et non de « cryo-thérapie« . Dans le secteur médical, on constate d’ailleurs que les matériels de cryothérapie utilisés par les kinésithérapeutes et les appareils de cryolipolyse utilisés par les dermatologues et médecins esthétiques n’ont rien à voir, ce qui semble confirmer l’existence de deux champs d’application bien distincts, dont l’un est l’esthétique. En réalité, ce dont il est question, c’est l’usage d’appareils high tech à visée esthétique par les instituts de beauté.
Ces appareils, qui n’existaient pas en 1962, ont envahi le marché de l’esthétique au tournant des années 2000, contraignant le législateur à réagir : en 2009, la loi « Hôpital, patients, santé, territoire » jette les bases d’un nouveau cadre réglementaire. Son article 61 stipule ainsi que » la pratique des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique peut, si elle présente des risques sérieux pour la santé des personnes, être soumise à des règles définies par décret, relatives à la formation et la qualification des professionnels pouvant les mettre en œuvre, à la déclaration des activités exercées et à des conditions techniques de réalisation. Comme on le voit, cet article fondateur laisse le soin au législateur d’encadrer par décret chaque technique à visée esthétique au cas par cas, et notamment de définir la formation et la qualification nécessaire pour exercer.
Où en est-on aujourd’hui ? Depuis 10 ans, aucun décret n’est venu encadrer la cryo-esthétique, ainsi qu’il l’a été soulevé dans le procès de Laval à juste titre. Cependant, une première démarche préalable a été réalisée pour évaluer si cette technique présente ou non une dangerosité pour la santé.
L’enquête des pouvoirs publics
Alertées par la croissance du marché, il était logique que les autorités s’intéressent à la cryo-esthétique afin de mieux évaluer les risques pour le public. Des enquêtes d’envergure nationale ont donc été lancées en 2017/2018 auprès des Agences Régionales de Santé, des instances judiciaires et de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), afin de recenser et analyser tous les incidents signalés par les professionnels de santé et/ou ayant entrainé des plaintes. Il s’agissait, en particulier, de connaitre les évènements indésirables graves (ayant entrainé une hospitalisation et/ou une incapacité ou invalidité). Suite à ces enquêtes, l’ANSES a sorti un rapport en 2017, suivi de recommandations émises par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2018. Quelles en sont les constatations ?
Des incidents marginaux
Comme n’importe quelle technique esthétique, la cryo-esthétique n’est pas sans risques. Pour autant, les signalements du corps médical relatent essentiellement des effets secondaires plus ou moins gênants mais temporaires et réversibles : érythèmes, douleurs localisées, indurations… Certaines observations font également état de désagréments esthétiques peu fréquents : élargissement de la zone traitée (ventre et bras), hyper pigmentation, aspect irrégulier de la peau. Les incidents graves, comme celui qui a donné lieu au procès de Laval, sont extrêmement marginaux en regard du très grand nombre de séances pratiquées. Ainsi, seulement cinq signalements de brûlures provoquées par des appareils non médicaux (utilisés par des esthéticiennes) sont à déplorer jusqu’ici, dont un seul cas de brûlure grave (ayant occasionné une plainte en justice en février 2018). Quant aux matériels ayant le statut de dispositif médical, utilisés par des dermatologues ou médecins esthétiques, ils ont occasionné seulement deux signalements à l’ANSM pour des brûlures sérieuses (soit un cas en 2016 et un cas en 2017).
A l’origine de ces brûlures, on trouve une défaillance du dispositif censé isoler la surface cutanée : soit par une mauvaise manipulation de l’opérateur, qui a laissé des zones exposées au froid en plaçant mal la protection, soit en raison d’un dysfonctionnement de l’appareil (lingette protectrice aspirée par la ventouse, par exemple).
Ces accidents restent rares. La Haute Autorité de Santé en conclut que si « la pratique de la cryolipolyse entraine des évènements indésirables graves (EIG) », « la survenue d’EIG est liée à de nombreuses pratiques concernant la santé et également dans le domaine de l’esthétique, sans que cela remette en cause leur utilisation« . Une autre façon de rappeler que le risque zéro n’existe pas. Est-il besoin de préciser que la cryo-esthétique est une alternative à la liposuccion, technique invasive nécessitant entre autres une anesthésie, dont un EIG possible est… la mort ?
Clarifier et encadrer
Les travaux récemment menés ont eu le mérite de remettre à l’ordre du jour la nécessité d’adopter un cadre réglementaire précis, clair et spécifiquement adapté à la pratique de la cryo-esthétique, en raison de « la suspicion de danger grave pour la santé ». Ainsi, dans son rapport de 2018, la HAS constate « qu’il y a lieu d’encadrer cette pratique ». Elle dénonce également le « statut des appareils et des opérateur non réglementé », l’érigeant en principal obstacle à une meilleure gestion des risques en matière de santé.
Les propositions de l’ANSES (2017)
L’ANSES dresse certaines recommandations pour le législateur, qui concernent à la fois les appareils, les personnes habilitées à leur usage, et les consommateurs.
Pour les appareils, l’ANSES préconise une évaluation technique et clinique de tout appareil avant la mise sur le marché, ce qui supposerait de lourdes procédures pour les fabricants mais garantirait un niveau homogène de sécurité. Elle souhaite également instaurer une traçabilité des machines (avec déclaration obligatoire, préalable à l’exploitation) et des obligations en matière de maintenance, afin de limiter les risques d’accidents dus à des matériels défectueux.
L’ANSES recommande aussi que soient définies les qualifications requises pour pratiquer la cryo-esthétique et que soit mise en place une formation spécifique des personnes habilitées à utiliser ces appareils. Si la durée, les modalités d’accès et le contenu de cette formation sont à définir, notons au passage – c’est important – que l’ANSES cite précisément les « professionnels médicaux » ET les « professionnels de l’esthétique » dans cet article consacré aux personnes susceptibles d’exercer.
En outre, les esthéticiennes sont de nouveau citées dans un autre article qui vise à les astreindre de souscrire une assurance en responsabilité civile obligatoire pour leurs prestations de cryo-esthétique.
Enfin, concernant le public, l’ANSES souhaite instaurer un consentement éclairé du consommateur, avec obligation d’une information écrite de la part du professionnel concernant notamment les résultats attendus et les risques encourus.
Le rapport de la Haute Autorité de Santé (2018)
Le rapport de la HAS a conforté les positions de l’ANSES tout en durcissant certaines mesures. Ainsi la HAS souhaite l’interdiction de tout appareil ne bénéficiant pas du marquage « CE médical ». Quant à l’obligation de maintenance, elle serait assortie d’un contrôle régulier fait par un organisme indépendant (à l’instar de ce qui se pratique pour les appareils UV).
L’information écrite au consommateur comporterait 4 volets sur :
- la réalisation de la technique
- les contre indications et précautions à prendre
- les risques prévisibles et effets indésirables connus
- l’identité et la formation de l’opérateur de l’appareil
Comme pour les UV, les professionnels seraient assujettis à une traçabilité des prestations (zone concernée, date, durée, type d’appareil, réglages utilisés), ceci afin de s’assurer notamment que les séances respectent l’intervalle préconisé par le fabricant. Enfin, la HAS veut imposer à tous les professionnels utilisant un appareil de cryo-esthétique l’obligation de déclarer en ligne, sur un portail dédié, tout évènement indésirable survenu après une prestation.
Conclusion
La réglementation actuellement en vigueur est incontestablement en décalage avec l’évolution de pratiques innovantes comme la cryo-esthétique. Elle soumet les esthéticiennes à une insécurité juridique préjudiciable, alors que des milliers d’instituts pratiquent désormais ces prestations au quotidien. Les travaux préparatoires menés par l’ANSES et le rapport de la HAS en 2018 ont préparé l’arrivée d’un décret qui préciserait les conditions d’exercice de la cryo-esthétique. Si ces conclusions proposent de durcir considérablement les obligations incombant aux fabricants comme aux opérateurs utilisant ces appareils, dans le but de renforcer la sécurité due aux consommateurs, elles n’écartent cependant pas a priori les professionnelles de l’esthétique de ce nouveau marché comme le laisse entendre la sanction infligée à une esthéticienne dans le procès de Laval.
Lire le rapport de la HAS ici.